Faire famille
l'acte 8 par Julia Vidit,
Début 2024, au moment d’un premier bilan sur cette aventure artistique à la tête du Théâtre de la Manufacture et après avoir bien réfléchi, j’ai décidé de continuer de m’engager à votre service, celui de l’intérêt général, celui du service public de l’art et de la culture. En réponse, l’État m’a signifié sa volonté de renouveler mon mandat de direction pour une durée de trois ans, de 2025 à 2027.
Les quatre années passées n’ont pas été un long fleuve tranquille, je l’ai souvent raconté au fil du temps : les embûches et les déboires dont nous faisons les frais, tout comme l’ensemble de notre secteur et des services publics, ne rendent pas la tâche facile. C’est un théâtre en lutte que je dirige : il doit se battre quotidiennement pour démontrer sans cesse son utilité et préserver ses moyens d’action.
Et pour cause : dans une société divisée, dans laquelle les inégalités sociales se creusent chaque jour un peu plus, notre art semble condamné à être perçu comme dérisoire ou carrément dispendieux. Et dans un monde où sévissent de nombreuses guerres, nous paraissons bien insolents d’être si vivants. Quoi qu’il en soit, le début de l’année 2025 ouvre un nouveau chapitre de cette aventure !
Dans un contexte aussi changeant que l’avenir est incertain, nous faisons en sorte, avec toute l’équipe, les artistes et les habitants, de rendre cette maison de création vivante et de sauvegarder un de ces espaces collectifs dont nous avons tant besoin. Les artistes continueront de créer : ils ne rendront pas la société meilleure, ils la rendront plus vivable ; elles ne feront pas de révolution, elles la représenteront ; ils ne trouveront pas de solutions, ils les fabuleront ; elles ne résoudront pas les conflits, elles les éclaireront. Le Théâtre de la Manufacture continue et continuera d’être une Zone Artistique à Défendre, pour toutes et tous : oeuvres, artistes et publics.
Dans le prolongement des quatre premières années, voici le plan d’action directe, comme un pense-bête, pour cet acte 8 et les suivants :
— Émouvoir les coeurs et les esprits, c’est tout un : sentir, penser, transformer
— Maintenir des tarifs adaptés aux moyens de chacun et chacune
— Accueillir les spectacles et les artistes en création pour des temps longs
— Entraîner les imaginaires comme des muscles, s’armer de fictions et de récits
— Offrir des spectacles aux jeunes gens pour leur donner l’énergie de (dé)faire le monde
— Investir les collèges avec des équipes de création
— Mettre en jeu des amatrices et amateurs dans des créations partagées
— Accueillir toutes les familles
— Défendre la liberté de création et d’expression
— Faire avec toutes les forces en présence
— Croiser les regards, ouvrir de nouveaux espaces de rencontre entre publics et artistes
— Jouer des spectacles en journée pour ceux qui ne sortent pas le soir
— Proposer régulièrement des expériences de pratique artistique
— Être un relai de l’entraide entre spectateurs et spectatrices avec la billetterie solidaire
— Parité parité parité – diversité diversité diversité ne sont pas de vains mots
— Faire avancer les représentations, rendre visibles les invisibles
— Sortir des murs pour vous rencontrer tout autour et au-delà
À l’aube de 2025, je remarque que les artistes invités de l’acte 8 s’intéressent beaucoup à la famille. Celle que l’on choisit, celle que l’on subit. Le théâtre est un foyer dans lequel elles se composent et se recomposent à l’infini : on fait famille, comme on fait théâtre. Réelles ou imaginaires, les familles fabriquent des liens et dessinent un immense arbre, dans lequel chacun peut prendre une place, et s’accrocher aux racines.
Ils ont voulu nous enterrer mais ils ne savaient pas que nous étions des graines, dit le proverbe amérindien.
L’acte 8 poussera avec vous !
Julia Vidit