Adulte, jamais !

Adulte, jamais !
La première fois que j’ai fait du théâtre, j’avais 7 ans : c’était pour jouer le renard dans un conte animalier. Affublée d’une petite queue en panache orange et d’un museau en plastique brun, je me souviens devoir tourner autour de la poule avant de
n’en faire qu’une seule bouchée ! Bien avant, vers 4 ans, je me souviens avoir porté la cocarde tricolore pour fêter la Révolution française. Nous galopions comme des vainqueurs, à l’autre bout de la cour !
Ces deux souvenirs, reliés à la naissance de ma passion pour l’art vivant, sont deux moteurs puissants pour mener l’aventure au Théâtre de la Manufacture, Centre dramatique national. Ils me relient à la petite fille que j’ai été, qui se tient encore en moi, avec sa faim de justice, sa soif d’idéal, son désir de jeu.

Adulte, jamais ! souffle Pasolini.
Comme la piscine, la bibliothèque, la fête foraine ou la forêt, le théâtre est pour moi l’un de ces lieux qui maintient l’enfant vivant en chacun de nous.
Les mômes d’aujourd’hui, ceux qui démarrent dans la vie entourés de visages masqués, angoissés par la guerre qui siffle à quelques kilomètres, doivent être nos invités privilégiés. Avec les plus grands, les presque adultes, considérons-les comme nos guides : donnons-leur de la place, écoutons-les ! Cette deuxième saison ouvrira encore plus grand les portes à la jeunesse afin qu’elle puisse rêver le monde et montrer le chemin aux vieux habitués que nous sommes devenus malgré nous.

Adulte, jamais !
Car au théâtre, il est possible de penser Quand je serai grand, je serai. En sortant, il est possible de sentir le vent vivifiant de l’aspiration. Les créateurs invités nous permettent de regarder le monde de biais, de le vivre, de le penser autrement. Grâce à l’imaginaire qu’ils convoquent, nous pouvons déplacer des montagnes, interroger notre regard sur le paysage, exciter notre désir de le modifier. Nous sommes poussés, non pas à être, mais à devenir.

Adulte, jamais !
Les paysages imaginaires s’appuient sur un territoire bien réel. L’équipe du théâtre l’arpentera avec des spectacles en circulation, une création itinérante et une création en collège. Quartiers Libres continuera d’enquêter auprès des travailleurs d’aujourd’hui. Nous chercherons à vous débusquer là où vous êtes, car si le monde appartient à la jeunesse, c’est aussi aux adultes que nous nous adressons : ceux pris dans la tourmente d’une société qui réduit les minces interstices pour la poésie, la distance, la rêverie.

Adulte, jamais !
Car oui, le nez collé sur nos écrans, gavés d’images réelles faiseuses de sensations fortes aussi écrasantes qu’insoutenables, nous vieillissons vite et impuissants, nous renonçons, à débattre du monde ensemble. Le nez collé sur nos écrans, nous cédons à la tentation d’un divertissement radical, pour échapper à ces informations en continu qui nous menacent du pire. Au théâtre, il est possible de décoller ce nez pour nous divertir, oui, et trouver des idées, des pistes fabuleuses, quelque chose derrière le rire, le pleur : un point de vue à partager.
Serait-ce pour cette raison que l’art et la culture ont été les grands absents des récents débats nationaux ? Si nous devenions des adultes émancipés, motivés à réaliser leurs rêves d’enfants, que se passerait-il ?

Adulte, jamais ! répèterait encore et encore Pasolini.
Venez au Théâtre de la Manufacture !

Julia Vidit