Chères spectatrices, chers spectateurs...

La saison artistique 2024/2025 est cette année singulièrement fragilisée. Si nous nous sommes attachés à rendre, au fil des ans, nos difficultés budgétaires les moins visibles et impactantes possible pour notre public, la réalité ne peut plus être dissimulée. Les moyens consacrés à la création artistique réduisent et la diversité artistique pour laquelle nous nous engageons s’affaiblit.

En assumant une politique d’austérité budgétaire, le gouvernement a fait un choix brutal. L’ensemble des services publics est attaqué, y compris celui de la culture, visé en son coeur : la création. Les collectivités territoriales, premières alliées de la culture dans nos territoires, seront elles aussi impactées dans des proportions inédites ? Notre modèle est aujourd’hui remis en cause. Beaucoup d’artistes vont disparaître, emportant avec eux la création. De nombreux emplois dans le secteur du spectacle vivant public sont définitivement menacés. (…)

Il y a aujourd’hui urgence à sauver ensemble le service public de la culture pour que celui-ci continue de porter l’espérance d’une culture ouverte, accessible à toutes et tous.

Cette fois-ci, l’édito s’ouvre sur ce communiqué écrit en mai 2024 par le Syndicat national des entreprises culturelles représentant, de nombreux théâtres publics et équipes artistiques, dont le Théâtre de la Manufacture.
Entendons-nous : les artistes sont conscients de choisir une voix singulière. Le but d’une oeuvre d’art n’est pas sa rentabilité économique.
La nécessité de créer l’emporte bien souvent sur des conditions de vie précaires.

Artiste de théâtre, j’ai longtemps travaillé en compagnie indépendante, soutenue par des partenaires publics. Au fil du temps, j’ai ressenti la nécessité de m’engager dans la direction d’un lieu de fabrique artistique lié à ses habitants. Les Centres dramatiques nationaux, comme le Théâtre de la Manufacture, sont des maisons de création dirigées par un ou plusieurs artistes, au service de l’intérêt général. Accompagnée par une équipe permanente, je continue d’y créer mes spectacles et je
partage les moyens et les espaces avec d’autres créateurs.
Ma volonté première est de rendre l’art théâtral, dans sa diversité, accessible au plus grand nombre. Le prix des places en atteste.

Artiste ou directrice, même combat, celui des renoncements incessants : il n’y aura finalement pas dix acteurs mais huit ou même trois ; pas de mer de sable mais un morceau de linoléum bien éclairé ; pas non plus de corsets, nous saurons très bien jouer tout nus ! Nous ne programmerons pas ce spectacle toute la semaine mais seulement trois fois, au risque de ne pas accueillir tout le monde ; l’année prochaine, nous réduirons le nombre de résidences de recherche…
Je me suis toujours arrangée pour trouver des solutions, du sublime dans chacun de nos deuils, du sens dans chacune de nos contraintes, tant l’urgence d’offrir des récits est forte, et la volonté de créer, puissante ! Nous y mettons toute notre énergie.

En mars dernier, l’annonce par le ministère de l’Économie et des Finances d’une baisse inédite des financements pour la création signe la fin des arrangements. Si nous pouvons faire appel à l’imagination pour revoir le coût d’un décor à la baisse, cela n’est pas possible quand il s’agit des salaires. C’est une question de survie des artistes, des oeuvres et des lieux de service public.

L’EAU MONTE.

À l’ACTE 4, je me voyais comme la capitaine d’un bateau ; à l’ACTE 7, je me vois écrire qu’il coule. Et sur le pont, avec les équipages, alors que je tiens la barre malgré l’eau montante, nous peinons à contrer une marée idéologique qui prône la rentabilité et l’individualisme, et insidieusement, nous dénigre. Nous peinons à naviguer dans un vent soufflant de nombreuses injonctions, sans avoir les moyens de nos missions.

Ce qui nous donne l’énergie de poursuivre c’est votre présence et votre soutien : vous, spectateurs et spectatrices de tous âges toujours plus nombreux à rejoindre cette embarcation chaleureuse ; vous, partenaires qui continuent, malgré tout, de soutenir l’aventure théâtrale et humaine qui se déploie ici et tout autour ; vous, enseignantes, animateurs, éducatrices et vous, toutes et tous qui vous démenez pour écoper l’eau qui monte de toutes parts.

Les artistes de cet ACTE 7 partageront plus que jamais leur nécessité de créer dans cette lente montée des eaux. Jusqu’ici tout va bien : le bateau continuera de voguer et nous permettra de porter un regard actif sur l’horizon de ce monde en transformation.

Les mots de Maryse Condé portés par Danielle Gabou nous rappellent que tout asservissement peut être anéanti ; Hakim Bah et Diane Chavelet créent en itinérance Tombé du Camion, une pièce inspirée par les mouvements populaires de 2005, 2017 et 2023 ; Antigone défend le droit à la liberté, et grâce à Laurence Cordier, elle ne prend pas une ride ; Juliette Navis nous fait rire avec J.C. Jean-Claude van Damme qui tente de comprendre le système monétaire international en continuant d’entretenir sa musculature ; L’Avare se joue avec la seule énergie de l’équipe de Clément Poirée et les accessoires cédés par le public ; Guillaume Cayet raconte la lutte contre la disparition d’une forêt et la possibilité d’un autre monde ; le 7e volet de Quartiers Libres sonde le monde de la justice ; Sous Terre nous permet d’explorer ce qu’il y a de vivant sous nos pieds, et de sentir à quel point nous ne sommes que la partie d’un tout, immense ! Quant à moi, je joue à courir après le temps mais Pour Quoi Faire ?

Et finalement, oui, vous verrez des acteurs et des actrices en nombre, une mer de sable et des corsets parce que notre vocation est de fabriquer des illusions pour regarder et penser le monde en face, malgré tout, et tant que c’est possible.

Et pour entrer dans l’automne 2024, il y aura un curieux dôme sous lequel vous pourrez vous asseoir. Dessous, la littérature conjuguée à la musique, vous soufflera à l’oreille que nous ne sommes pas seuls. Nous sommes plusieurs. Et à plusieurs, nous pouvons déplacer des montagnes pour que l’eau s’évacue, et vider la cale, bien trop pleine !

Au-delà de l’été, vogue l’ACTE 7 !

Julia Vidit